Dirty WorkBon, on ne va pas se mentir, les albums des Rolling Stones dans les années 80 n’ont pas une réputation aussi fameuse que leurs prédécesseurs. Et parmi ceux-ci, Dirty Work est un des plus décriés. Est-ce parce que la pochette présente le groupe dans des couleurs vives et parfaitement dans l’air du temps qui seront ringardisées par les mornes années 90 ? Est-ce parce que le producteur Steve Lillywhite leur a concocté une production bien eighties dont il avait le secret ? Pour ces deux arguments, je ne peux que récrier: la pochette est sans doute la plus belle pochette des Stones (dont les choix n’ont pas toujours été très heureux dans leur carrière) depuis Black N Blue. Quand à la production, elle est tout simplement énorme, peut-être pas la plus Rock N Roll, mais a très bien vécu le passage du temps. Là où le bât blesse, c’est sans doute dans la crise existentielle que vit le groupe. Mick Jagger, qui vient de sortir son premier album solo, semble faire passer le groupe au second plan. Cela n’arrange pas sa relation avec Keith Richards, déjà plutôt écornée, qui prend donc le contrôle du navire (illustré d’ailleurs par sa position centrale sur la pochette). Il faudra d’ailleurs toute la ténacité de Ronnie Wood pour empêcher la séparation du groupe. À cela s’ajoute les problèmes de Charlie Watts avec divers substances, obligeant parfois d’autres (dont Wood, encore lui) à passer derrière les tambours. En bref, l’album sera plutôt le fruit de la collaboration Richards/Wood plutôt que de l’habituelle Jagger/Richards. Le « petit nouveau » (déjà présent depuis dix ans tout de même), obtient d’ailleurs le statut de co-auteur tant recherché par Mick Taylor lorsque celui-ci remplaçait un Keith alors le nez dans la poudre.

Est-ce que l’absence de Jagger dans la majorité du processus de création a conduit à une baisse de qualité ? Oui et non. Oui, car Dirty Work est un album disposant de titres pas franchement mémorables au milieu de quelques pépites. Non, car cette présence de titres de remplissage chez les Stones existait déjà bien avant que Jagger se consacre à sa carrière solo, et ce même durant l’âge d’or du groupe. « One Hit (To The Body) » ne fait incontestablement pas partie des titres faibles, même si l’Histoire l’a injustement relégué au nombre des bons morceaux oubliés. Dès le riff à la guitare acoustique auquel vient rapidement se mêler un riff électrique, on sent que l’on a affaire à l’un de ses titres qui nous emmène par la main pour ne plus nous lâcher. Batterie qui claque, basse qui groove, effluves de Blues Rock à la Stones et un Jagger en pleine forme; que demander de plus ? Peut-être les chœurs féminins sont-ils de trop, le refrain efficace ayant aisément pu s’en passer. Cerise sur le gâteau, le deuxième solo est tenu par un certain Jimmy Page, rien que ça. La classe.

Après avoir reçu ‘un coup dans le corps’, les Stones nous apportent la bagarre avec « Fight ». « Fight » fait partie de ces nombreux titres sortis par les Stones que d’aucuns pourraient qualifier d’interchangeables, qui ne se retiennent pas vraiment, mais qui restent néanmoins agréables à écouter. La production de Lillywhite permet au Blues Rock d’avoir une légère couche de vernis qui ne dénature nullement le style du groupe tout en ajoutant un plus. Avoir choisi une reprise comme single principal (une première depuis vingt ans) a sans doute contribué à faire dire que les Stones étaient en panne d’inspiration. Pourtant, on pourrait aisément penser que l’accrocheur « Harlem Shuffle » est une composition originale tant ce mélange de Pop, de Soul et de Rock convient bien à nos cinq Anglais, et ce d’autant plus que la version originale a depuis longtemps disparu de la mémoire collective, à l’acception des fans de Bob & Earl et de Rhythm & Blues. Le public ne s’y trompera pas et donnera au titre une très belle cinquième place dans les charts US (N°4 en Belgique, 13 en Angleterre et…. 28 en France). Pourtant, le groupe ne la joue plus depuis longtemps (comme tant d’autres tubes des 80’s). Peut-être leur rappelle-t-elle trop de mauvais souvenirs ?

« Hold Back » est construit dans un moule assez similaire à « Fight »: une batterie qui claque (Watts a rarement sonné aussi ‘agressif’ que sur cet album), des guitares coupantes comme des lames de rasoir, une basse discrète qui groove bien et un Jagger qui éructe. Le titre manque d’un vrai refrain pour arriver à marquer, mais une nouvelle fois on se laisse prendre au jeu. Les compères Richards et Wood s’essaient ensuite au Reggae (un genre auquel les Stones ont toujours été sensibles), avec cette reprise de Half Pint. Pour ceux à qui ce genre souvent répétitif donne de l’urticaire, ce n’est qu’un mauvais moment à passer, d’autant que c’est Keith Richards qui en est le chanteur principal, ce qui, avouons-le, n’aide pas vraiment. L’idée de mettre un écho sur la batterie est en revanche assez intéressante. Mené par la basse joyeuse de Bill Wyman (qui vaut tellement mieux que sa réputation de Stone immobile) « Winning Ugly » fait partie de ces petites perles méconnues des Stones qui semblent sortir de nulle part. Cette fois-ci, les choeurs féminins rajoutent un plus. Certes, le rendu est un Rock typiquement 80’s, mais nous sommes loin d’être noyés sous les clichés de l’époque comme c’était le cas d’artistes contemporains des Stones (Steve Winwood et Eric Clapton pour ne citer qu’eux). Le bon dosage pour satisfaire vieux et nouveaux fans.

« Back To Zero » est peut-être moins heureux à ce jeu-là. Ce petit côté funky n’est pas désagréable mais les claviers de Chuck Leavell (ancien membre des Allman Brothers dont la longue collaboration avec le groupe dure encore à ce jour), quoique discrets, sonnent un peu trop datés. De plus le tout est un brin répétitif une fois passées les trois minutes. Cette fois c’est Bobby Womack qui vient gratter un peu. « Dirty Work » est un Rock entrainant mais manquant un peu de personnalité malgré quelques discrètes tonalités country dans les guitares. « Had It With You », malgré son titre vendeur, est probablement le titre le plus dispensable de l’album. Un morceau de Rhythm & Blues comme il en a été écrit des tas (par les Stones et par d’autres). Keith Richards reprend le micro sur la ballade « Sleep Tonight » et ce registre lui convient incontestablement plus que le Reggae (sa participation à « Memory Motel » l’avait d’ailleurs déjà prouvé). Petite particularité, c’est Ronnie Wood qui remplace une Charlie Watts déficient. Et le bougre s’en titre fort bien ! Certes, « Sleep Tonight » n’est pas la plus mémorable des ballades des Stones, mais elle ferme l’album de manière plutôt convaincante. Fermer ? Pas tout à fait, Ian Stewart, co-fondateur (mais rapidement évincé à cause de son physique) et pianiste accompagnateur du groupe étant décédé pendant l’enregistrement, trente secondes de son jeu de piano sont diffusées en titre caché. L’album lui est d’ailleurs dédié.

Album honni, Dirty Work pourrait donc bien être un des albums les plus sous-estimé des Stones et certainement une de leurs meilleures productions des 80’s. Pourtant le groupe ne tournera pas pour le défendre, Jagger évoquant la mauvaise forme de Charlie Watts et préférant tourner en solo. Il faudra donc attendre trois ans et Steel Wheels pour retrouver les Stones sur scène. Un album qui vaut également que l’on se penche dessus, mais c’est une autre histoire…

Titres:
1. One Hit (To the Body) (ft. Jimmy Page)
2. Fight
3. Harlem Shuffle
4. Hold Back
5. Too Rude
6. Winning Ugly
7. Back To Zero (ft. Bobby Womack)
8. Dirty Work
9. Had It With You
10. Sleep Tonight

Musiciens:
Mick Jagger: Chant
Keith Richards: Guitare, piano, chant (5, 10)
Ronnie Wood: Guitare, saxophone, batterie (10)
Bill Wyman: Basse, claviers
Charlie Watts: Batterie
Chuck Leavell: Claviers
Ivan Neville: Basse, claviers
Philippe Saisse: Claviers
Anton Fig: Percussions
John Regan: Basse (6)
Dan Collette: Trompette
Ian Stewart: Piano
Marku Ribas: Percussions

Producteur: Steve Lillywhite