john-lennon-live-peace-in-torontoEn 1969, alors que les Beatles sont toujours officiellement un groupe, les organisateurs d’un festival à Toronto devant accueillir une série de vétérans du Rock ’n’ Roll proposent à John Lennon et à Yoko Ono d’être les maîtres de cérémonie. Mais Lennon comprend mal, et pense qu’on lui propose de venir jouer. Trop heureux de tenir le premier retour sur scène d’un des Beatles depuis 1966, les organisateurs ne se préoccupent pas de le détromper et laissent Lennon former un groupe de dernière minute. S’il propose d’abord la place de guitariste à George Harrison, son compère des Beatles refuse ; et c’est tout naturellement que Lennon se retourne vers l’autre guitariste avec qui il a déjà travaillé, Eric Clapton. La basse sera tenue par Klaus Voorman, bassiste de Manfred Mann, mais surtout ami des Beatles depuis leurs débuts à Hambourg. Enfin, pour la batterie il fera appel à un jeune musicien, Alan White, qui croira d’abord à une blague. White se fera par la suite connaître comme batteur de Yes. Bref c’est une fine équipe qui débarque à Toronto le 13 septembre 1969, mais qui n’a eu l’occasion de répéter que deux fois, et qui du coup va se contenter de quelques chansons qu’ils ‘connaissaient tous’ pour reprendre les termes du chanteur.

Est-ce parce que le festival mettait en valeur le Rock ’n’ Roll des débuts ou bien plus simplement parce que les quatre musiciens connaissaient par coeur ces titres de leur jeunesse que le concert commence par trois reprises ? Lennon et son Plastic Ono Band (puisque tel est le nom qu’il donnera à son groupe – toujours changeant – d’accompagnateurs) mettent le public dans leur poche en entamant « Blue Suede Shoes », le hit de Carl Perkins popularisé encore plus par Elvis. D’emblée on se rend compte que même si le groupe n’a jamais joué ensemble en public (et guère plus en dehors), l’osmose entre eux est totale. Incontestablement, Lennon avait eu le bon feeling pour choisir son groupe. Perkins, présent au festival, vint d’ailleurs le complimenter après le concert pour sa prestation. Les deux titres suivants avaient déjà été repris par les Beatles. Il s’agit de « Money (That’s All I Want) », un titre de la Motown que l’ont retrouvait sur With The Beatles et la reprise du « Dizzy Miss Lizzy » de Larry Williams, un titre qui allait déjà comme un gant à Lennon sur Help!. Ces deux titres sont présentés dans des versions bien lourdes du fait des guitares de Clapton et Lennon. Quelques ‘vocalises’ de Yoko sont perceptibles sur « Dizzy Miss Lizzy », mais ils ne gênent pas vraiment l’écoute.

 Alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que des hits des Beatles de l’époque nous soient offerts (« Revolution » ou « Come Together »), « Yer Blues » sera le seul titre des quatre de Liverpool présent lors du concert. On ne va pas s’en plaindre car il s’agit d’un Hard Blues du plus bel effet sur lequel Lennon et Clapton s’étaient déjà rejoints, lors du projet Rock ’n’ Roll Circus des Rolling Stones. Quel bonheur d’ailleurs de retrouver le Clapton de cette époque dont les solos étaient encore enflammés. John Lennon présente ensuite une de ses toutes dernières compositions, « Cold Turkey », un titre qui avait été refusé comme single par les Beatles. A son écoute, on se demande comment cela a été possible tant ce titre Rock est réussi. Mais les Beatles pouvaient se permettre de faire la fine bouche. A nouveau Yoko nous fait le coup des cris de chat étranglé, mais la chanson et les musiciens restent les plus forts. N’empêche, on s’en serait passé. C’est l’hymne « Give Peace A Chance », premier tube solo de Lennon, qui termine la partie ‘conventionnelle’ du concert. Un peu plus Rock et moins brouillonne que la version single (qui avait été enregistrée live lors du fameux bed-in), cette version à Toronto a mieux vieilli. Détail amusant, ne se souvenant plus des paroles, Lennon les improvisa sur le coup. Evidemment, on sent que le groupe est prudent, ne se lâche pas complètement. Mais vu le peu de temps avec lequel cette prestation s’est montée, comment aurait-il pu en être autrement ? Dans ce contexte, une telle prestation est d’ailleurs remarquable.

La suite met en valeur Yoko Ono et il est fort à parier que bon nombre d’auditeurs arrêteront leur écoute à ce moment. « Don’t Worry Kyoko (Mummy’s Only Looking for Her Hand in the Snow) » peut encore s’écouter du fait que la musique, un riff Blues Rock répétitif mais entraînant, est bien fichue. Pour les improvisions vocales de Madame, il faut quand même un peu s’accrocher. Certaines parties sont supportables, d’autres donnent l’impression qu’elle subit des électrochocs constants. Ecouter cela au deuxième degré peut en revanche être une manière de passer sans trop de mal les quatre minutes du morceau. Il est hélas nettement plus difficile d’arriver au bout de « John John (Let’s Hope for Peace) », titre expérimental issu du Wedding Album. Il s’agit de vocalises japonais (qui à nouveau donnent l’impression qu’elle est torturée sauvagement) sur fond de feedback des guitares. Une douzaine de minutes d’expériences artistiques pas très musicales que l’on pourrait qualifier d’intéressantes (personnellement je préfère ça au « Revolution 9 » des Beatles), mais qu’on n’ira pas écouter tous les jours. Evidemment, outre le fait qu’à l’époque il était difficile d’avoir Lennon sans Yoko et ses prétentions artistiques, ces deux morceaux permettent de gonfler le peu de titres que le groupe était capable de jouer. Il est incontestable que ceux-ci n’ont pas dû demander trop de travail aux musiciens et même être drôle à interpréter. Pas sûr que le public venu voir Fats Domino et Chuck Berry ait été du même avis, mais il faut se rappeler que d’autres groupes Rock avaient à l’époque des passages expérimentaux assez inaudibles. Ainsi « Free Form Guitare  » sur le premier album de Chicago (qui était d’ailleurs également à l’affiche du festival) ou « Feedback » sur le live de Grateful Dead Live/Dead. Le feedback continue alors que le groupe a quitté la scène, donnant un effet fantomatique et libérateur (Yoko a cessé de crier).

Se prouvant lors de ce concert qu’il pouvait continuer sans les Beatles, Lennon décidera de quitter son célèbre groupe peu de temps après, sonnant le glas de la légende. L’album du concert sortit peu de temps après le concert en lui-même et reçu un accueil mitigé, principalement du fait de la partie consacrée à Yoko. Et sans doute également de l’absence des tubes des Beatles. Pourtant ce Live Peace In Toronto reste un beau témoignage de ce groupe hélas éphémère qui ne remontera plus jamais sur scène ensemble. Et c’est bien dommage car Lennon tenait là un super-groupe d’un sacré calibre. Mais là n’était plus son intérêt, davantage porté sur la lune de miel politique et artistique qu’il vivait avec sa nouvelle épouse que sur une carrière de Rock Star planétaire. Il faut dire qu’il y avait suffisamment goûté pour avoir d’autres rêves.

Tracklist:
1. Blue Suede Shoes
2. Money (That’s What I Want)
3. Dizzy, Miss Lizzy
4. Yer Blues
5. Cold Turkey
6. Give Peace A Chance
7. Don’t Worry Kyoko (Mummy’s Only Looking For Her Hand In The Snow)
8. John John (Let’s Hope For Peace)

Musiciens:
John Lennon: Chant, guitare
Eric Clapton: Guitare
Klaus Voorman: Basse
Alan White: Batterie
Yoko Ono: Chant

Producteur: John Lennon