La décision radicale de Donald Fagen et Walter Becker de cesser de se produire sur scène avait eu pour conséquence immédiate la transformation du quintet en binôme après le départ volontaire ou la mise à l’écart des trois autres membres. Si le guitariste Jeff Baxter était vite parti faire le bonheur des Doobie Brothers, le batteur Jim Hodder aura lui plus de difficultés à poursuivre sa carrière jusqu’à son décès en 1990. Quant à Denny Dias, il continuera à collaborer sporadiquement sur les albums de Steely Dan, très en retrait, interprétant ici et là un solo de guitare. Le choix de Fagen et Becker de se focaliser sur le travail en studio ouvrait désormais Steely Dan à des collaborations plus nombreuses, avec des musiciens dont certains comme Jeff Porcaro (qui joue ici sur tous les titres excepté « Any World »), Michael McDonald, le bassiste Chuck Rainey ou encore le guitariste Larry Carlton devenaient de très proches collaborateurs, les deux premiers ayant même fait partie du groupe durant la dernière tournée de Steely Dan. Ce nouveau mode de travail fera par ailleurs évoluer Walter Becker vers un abandon quasi total de la basse au profit de la guitare qu’il tenait déjà sur ce Katy Lied.

Pour ce qui est du contenu de ce quatrième album, c’est une suite assez fidèle aux précédents, avec ce croisement de nombreux styles, du jazz à la pop, avec de généreux emprunts au blues ou au rhythm & blues, notamment dans les parties de guitare qui, certes, ne font pas oublier les audaces du grand « Skunk » Baxter, mais ne sont pas non plus avares en effervescences. C’est le cas sur « Chain Lightning » ou « Daddy Don’t Live In That New York City No More ». Placé en tête, le premier single « Black Friday » était probablement le meilleur choix pour représenter le plus efficacement l’album. C’est aussi un de ces titres basés sur une rythmique rhythm & blues appelant des interventions de guitares chatoyantes. Sans doute Baxter aurait-il attaqué avec encore plus d’ardeur et de tonus, sans doute nous aurait-il encore plus éblouis, mais nous ne bouderons pas notre plaisir pour autant. La mélodie reste par ailleurs facilement en tête, et les arrangements comme la rythmique soutenue par le piano dégagent une très agréable chaleur.

L’autre facette de ce disque, assez dominante dans l’œuvre de Steely Dan et sur ce Katy Lied, est faite de ces mélodies douces-amères si caractéristiques au groupe et qui convoquent, aujourd’hui plus encore sans doute qu’en 1975, des images d’un monde englouti. C’est un peu l’élément naturel de la voix chevrotante et nasillarde de Donald Fagen, qui a tout pour déplaire et qui pourtant séduit. Ce sont clairement ces atmosphères que l’on retrouve sur « Bad Sneakers », « Doctor Wu » avec ses parties de piano et saxophone jazzy, « Your Gold Teeth II » (qui reprend le titre d’une chanson de Countdown To Ecstasy, et la même coloration jazzy) voire des plus rythmés « Rose Darling » et « Throw Back The Little Ones ». Et comme par le passé, dans ces morceaux, le refrain est bien souvent une sorte de contre-pied, enflammé par une mélodie enjouée et des chœurs amples et aériens qui forment une partie du code génétique de Steely Dan. C’est encore cette même recette que l’on retrouve sur « Any World », et à chaque fois, l’air de rien, la mélodie fait mouche. Enfin, avec ses sonorités de vibraphone et sa rythmique inspirée des musiques tribales, « Everyone’s Gone To The Movies » donne un parfum plus exotique et léger à l’album, s’accordant cependant aussi quelques parties solistes jazzy au clavier.

Perfectionnistes jusqu’à l’excès, Becker et Fagen n’ont jamais été satisfaits du son qu’ils avaient obtenus sur ce disque. Considérations d’experts que nous laisserons aux experts : le public, lui, ne laissera pas gâter son plaisir. Disque d’or aux États-Unis à peine deux mois après sa sortie, Katy Lied a depuis largement dépassé le million d’exemplaires écoulés.

Titres :
01. Black Friday
02. Bad Sneakers
03. Rose Darling
04. Daddy Don’t Live In That New York City No More
05. Doctor Wu
06. Everyone’s Gone To The Movies
07. Your Gold Teeth II
08. Chain Lightning
09. Any World (That I’m Welcome To)
10. Throw Back The Little Ones

Musiciens :
Donald Fagen : chant, piano, clavier
Walter Becker : basse, guitare
+
Denny Dias : guitare
Rick Derringer : guitare
Dean Parks : guitare
Elliott Randall : guitare
Hugh McCracken : guitare
Larry Carlton : guitare
Michael Omartian : piano, clavier
David Paich : piano, clavier
Chuck Rainey : basse
Wilton Felder : basse
Jeff Porcaro : batterie, dorophone
Hal Blaine : batterie (9)
Victor Feldman : percussions, vibraphone
Phil Woods : saxophone (5)
Jimmie Haskel : arrangements de cuivres (10)
Michael McDonald : chœurs
Sherlie Matthews : chœurs
Carolyn Willis : chœurs
Myrna Matthews : chœurs

Production : Gary Katz

Label : ABC / MCA