Trois petites années s’étaient écoulées depuis Running On Empty, et pourtant un monde semble le séparer de Hold Out. Si le précédent opérait une sorte de retour aux sources, ce sixième album marque lui une nette évolution dans le style de Jackson Browne. On avait déjà bien noté cette volonté au temps de The Pretender, et ce sera désormais le trait commun des futures productions de l’Américain : comme un cheminement naturel que bien d’autres artistes de sa génération ont marqué dans les années 80, Jackson Browne se tournait peu à peu vers ce que l’on peut désigner comme de l’AOR.

Dès le premier titre, « Disco Apocalypse », la production léchée, la rythmique entraînante, les touches de piano électrique, la ligne mélodique accrocheuse, et jusqu’à l’incise enflammée de la fidèle choriste Rosemary Butler, tout concourt à laisser apparaître Jackson Browne comme un compositeur qui a gagné en maturité et en appétit. Car si le musicien donnait parfois l’impression, par le passé, de négliger les considérations commerciales, il semble désormais avoir bien compris où il fallait mener sa barque pour satisfaire le grand public. Certains le lui reprocheront, axant un peu hypocritement leurs critiques sur une supposée baisse de qualité des textes. Cet angle d’attaque était plus commode que celui des mélodies qui à l’évidence avaient rarement été aussi efficaces que sur Hold Out. Pour s’en convaincre une fois de plus, l’excellent « That Girl Could Sing », un rock tout en finesse et efficacement servi par un riff accrocheur, dont Browne finira par avouer que les paroles lui avaient été inspirées par Valerie Carter. L’éblouissante chanteuse — auteur de deux remarquables albums solo — lui avait été présentée par son ami Lowell George (Little Feat), décédé en 1979, et c’est précisément de lui dont il est question dans « Of Missing Person », une ballade mélancolique accompagnée essentiellement au piano et illuminée par un refrain enlevé, dans laquelle Browne s’adresse à Inara George, la fille de son ami, âgée de six ans à l’époque, et qui deviendra elle-aussi musicienne. Cette chanson teintée country rock, notamment par les interventions de David Lindley à la guitare « steel », donne un petit coup d’œil dans le rétroviseur, tout comme « Call It A Loan », un peu dans le même registre.

Trois singles seront extraits de l’album. Curieusement, « Disco Apocalypse » n’en fit pas partie, le label lui ayant préféré « Boulevard », un rock joyeux mais plus conventionnel, pour introduire l’album. « That Girl Could Sing » suivra quelques mois plus tard, et Asylum tentera un coup de poker perdant avec le dernier morceau de l’album, bien peu conforme aux exigences des radios. « Hold On Hold Out » est en effet développée en longueur (plus de huit minutes), avec de multiples changements de rythmes et d’atmosphères. La chanson commence sur un tempo entraînant, à la « Running On Empty », puis donne place à un solo à la guitare slide, et temporise dans un passage piano / voix où Jackson Browne finit par se mettre à parler, concluant son propos par une déclaration d’amour adressée au mannequin australien Lynne Sweeney, avec qui il se remariera bientôt. Ce passage vaudra au chanteur quelques railleries de la part de critiques qui s’ingénièrent à flétrir l’impudeur et la maladresse de la démarche. Il est vrai que le chanteur, grand amateur de femmes aux physiques assez rarement ingrats, s’enflammait sans doute un peu facilement ; la destinataire de cette vibrante déclaration sera du reste bientôt remplacée par l’actrice Daryl Hannah… Reste que ce passage de « Hold On Hold Out » fait son effet, avec le concours des musiciens — à commencer par Craig Doerge au piano — qui entretiennent admirablement l’atmosphère. Le single sera en revanche boudé par le public, ne parvenant même pas à entrer dans les cent premières places, contrairement aux deux précédents qui s’étaient fixés autour de la vingtième place.

Sans égaler le succès du précédent, l’album recevra un meilleur sort, atteignant rapidement le million d’exemplaires vendus au États-Unis, et plus de deux, vingt ans plus tard, ce qui en fait l’un des plus beaux succès de la carrière de Jackson Browne.

Titres :
01. Disco Apocalypse
02. Hold Out
03. That Girl Could Sing
04. Boulevard
05. Of Missing Persons
06. Call It A Loan
07. Hold On Hold Out

Musiciens :
Jackson Browne : chant, piano, guitare
+
David Lindley : guitare, lap steel guitar
Craig Doerge : piano, piano électrique, orgue, synthétiseur
Bob Glaub : basse
Russ Kunkel : batterie
Rosemary Butler : chœurs
Doug Haywood : chœurs
Bill Payne : orgue
Rick Marotta : batterie (4), percussions
Joe Lala : percussions
Danny Kortchmar : maracas (4)

Production : Jackson Browne, Greg Ladanyi

Label : Asylum