Ce n’est pas faire preuve de complaisance de déclarer que dans l’histoire de la guitare, il y a eu un avant et après Hendrix. En l’espace de trois albums, en poussant à leur paroxysme les expérimentations d’Eric Clapton, Pete Townshend et surtout Jeff Beck, il l’a transformée en arme de destruction massive. Désormais, la virtuosité du guitariste allait autant compter pour un groupe Rock que la qualité accrocheuse de ses chansons ou le charisme du chanteur. Avec Electric Ladyland, qui voit la fin de l’aventure pour l’Experience (les tentions avec Noel Redding sont de plus en plus fortes), est aussi pour le guitariste l’occasion de s’enfoncer encore plus loin dans les expérimentations Psychédéliques entamées sur Axis: Bold As Love. Jusqu’où aurait été Hendrix s’il avait vécu, nous ne le sauront jamais. De ce fait, Electric Ladyland est considéré comme le sommet de son oeuvre, là où il n’aurait peut-être été qu’un album de transition si sa carrière avait perduré. Son aspect mythique ainsi que les tubes intemporels qui y figurent (« Voodoo Child », « All Along The Watchtower » et, dans une moindre mesure, « Crosstown Traffic ») occulte néanmoins que tout n’a pas très bien vieilli, le rendant moins facile d’accès que le premier.

Après la courte introduction expérimentale « … And The Gods Made Love », manipulation d’effets studios, « Have You Ever Been (To Electric Ladyland) », ballade Soul très psychédélique et un peu décousue, ouvre l’album sur une note étonnamment calme. « Crosstown Traffic » voit heureusement l’Experience revenir à un format Rock plus carré. S’il n’est pas le plus mémorable des titres qu’il a composé dans le style, il est dans la bonne moyenne et dispose de quelques effets Pop psychédéliques qui l’incrustent fortement dans son époque. Jam Blues psychédélique de Hendrix et Mitchell avec l’énorme bassiste Jack Casady du Jefferson Airplain et l’organiste Steve Winwood (Traffic et Spencer Davis Group), « Voodoo Chile » (à ne pas confondre avec son presque homonyme « Voodoo Child (Slight Return) » qui en déclinera), met tout naturellement en avant le jeu fabuleux du guitariste, mais aussi de ses accompagnateurs. Malgré sa durée de près d’un quart d’heure, il faut avouer qu’on n’y s’y ennuie pas, même si on préfèrera la version plus rapide et concise présente en fin d’album.

Essayant sans doute d’apaiser les choses avec son bassiste, Hendrix laissera Redding enregistrer et interpréter son titre « Little Miss Strange ». Le titre est une chanson Pop/Rock psychédélique qui a la particularité de voir Redding et Mitchell chanter en harmonie au lieu d’Hendrix. On se croirait plus chez Buffalo Springfield ou les Byrds (pour les harmonies vocales) que sur un album de l’Experience, mais ça fonctionne. Après un « Long Hot Summer Night » entre Rock, Soul et Funk, la reprise de « Come On » de Earl King permet de retrouve la fraicheur et l’efficacité énergique de Are You Experienced. Un titre, d’après Redding, enregistré à la fin pour remplir l’album. Un de ses meilleurs moments pourtant. Plus marquant que ce « Gypsy Eyes » Rock Psychédélique sympa mais sans plus, malgré des parties de guitare comme toujours à couper le souffle. Il a cependant mieux vieilli que la Pop psychédélique de « Burning Of The Midnight Lamp » rendue brouillonne par le trop plein d’effets expérimentaux. Pour la jam Blues Jazz en deux partie « Rainy Day, Dream Away » et « Still Raining, Still Dreaming », Mitchell laisse la batterie à Buddy Miles d’Electric Flag, tandis que Freddie Smith produit quelques belles parties de saxophone. Est-ce cela qui a donné l’envie à Miles Davis de collaborer avec le guitariste ? Peut-être ; même si hélas cela ne se fera jamais.

Si le planant « 1983… (A Merman I Should Turn To Be) » s’avère plaisant au début, sa longue durée fini par lasser et ses passages expérimentaux psychédéliques ne plairont pas à tous. On y observe une fois de plus quel merveilleux batteur était Mitch Mitchell. Malgré son énergie, « House Burning Down » est trop déstructuré pour vraiment convaincre et l’on se rend compte qu’Hendrix a gardé ses deux meilleurs titres pour la fin. La reprise du « All Along The Watchtower » de Bob Dylan magnifie, comme souvent lorsque des grands artistes le reprenaient, le titre un peu austère du barde. Celui-ci est devenue un incontournable du répertoire d’Hendrix, utilisée jusqu’à l’overdose dans les films traitant des années 60. Mais le chef d’oeuvre est ce « Voodoo Child (Slight Return) » qui cristallise pour l’éternité toute la furie et le talent d’Hendrix, Mitchell et Redding, devenant, devant « Purple Haze », « Foxy Lady » etc , le titre ultime de l’Experience. Qui n’a jamais frémi à l’écoute de l’intro à la guitare wah-wah ?

Enorme succès a sa sortie, Electric Ladyland fait partie de ces albums incontournables de l’histoire du Rock, de ceux sans qui la suite aurait été différente. Si certains critiques avaient à l’époque pointés le côté déstructuré de certains titres, la mort d’Hendrix et le fait qu’il soit devenu le dernier album studio officiel de son auteur a balayé depuis ces réserves. Bien qu’il soit à présent mal vu de critiquer Hendrix, celles-ci n’étaient pourtant pas sans fondement. Tout n’est pas à garder sur cet album qui aurait sans doute mérité d’être simple et non pas double. Et ce n’est pas un hasard si les titres mis en avant sont systématiquement les mêmes. Album phare du Rock psychédélique, Electric Ladyland possède ainsi tant les qualités que les défauts du genre. Certains adoreront, d’autres trouveront l’ensemble vieilli et indigeste. Quoiqu’il en soit, et sans répondre à la question de savoir s’il est ou non surestimé, Electric Ladyland demeure un monument du Rock pour l’éternité.

Titres:
1. …And the Gods Made Love
2. Have You Ever Been (To Electric Ladyland)
3. Crosstown Traffic
4. Voodoo Chile
5. Little Miss Strange
6. Long Hot Summer Night
7. Come On (Part 1)
8. Gypsy Eyes
9. Burning of the Midnight Lamp
10. Rainy Day, Dream Away
11. 1983… (A Merman I Should Turn to Be)
12. Moon, Turn the Tides….Gently Gently Away
13. Still Raining, Still Dreaming
14. House Burning Down
15. All Along the Watchtower
16. Voodoo Child (Slight Return)

Musiciens:
Jimi Hendrix: Chant, guitare, clavecin, basse (2, 6, 8, 11, 14, 15)
Mitch Mitchell: Batterie (sauf 10, 13), chant (5)
Noel Redding: Basse (3, 5, 7, 9, 16), Guitare acoustique (5), chant (5)
+
Dave Mason: Guitare acoustique (3, 15)
Mike Finnigan: Orgue (10, 13)
Freddie Smith: Saxophone (10, 13)
Buddy Miles: Batterie (10, 13)
Steve Winwood: Orgue (4)
Jack Casady: Basse (4)
Al Kooper: Piano (6)
Chris Wood: flûte (11) 

Production: Jimi Hendrix