Le pauvre John Mayall semble victime d’une malédiction. Il découvre plus (Peter Green) ou moins (Eric Clapton) un guitariste qu’il propulse au rang de vedette de l’instrument, puis celui-ci le quitte après un album pour former un groupe et connaître le succès. Il part donc à la recherche d’un ado, plus jeune et donc moins enclin à tout de suite lui fausser compagnie. Après avoir proposé le poste à David O’List (18 ans) qui refuse, c’est Mick Taylor (18 ans également) qui devient le nouveau guitariste des Bluesbreakers. Keef Hartley s’occupe des tambours tandis que le pas encore démissionnaire John McVie demeure comme bassiste pour ce Crusade qui sera son quatrième et dernier album pour Mayall.

Ne vous y méprenez pas, « Oh, Pretty Woman » n’est pas une reprise de Roy Orbinson mais d’un certains A.C. Williams. Voilà là un Blues Rock classique mais très efficace pour commencer et qui nous rassure tout de suite sur le talent de Taylor qui n’a rien à envier à celui de ses deux glorieux prédécesseurs. La discrète section des deux saxophonistes (Chris Mercer et Rip Kant) est au poil et parfaitement bienvenue lors des solos jouissifs du jeune prodige. Plus rythmé, le Boogie « Stand Back Baby » est plus conservateur dans sa volonté de se rapprocher des grands anciens et permet à Mayall de ressortir l’harmonica. La ballade de chien blessé « My Time After Awhile » est hyper classique mais les plans font mouche. C’est cependant vocalement que l’on retiendra le titre, Mayall se lâchant plus que d’habitude, osant monter davantage dans les aigus. Le solo de Taylor est évidemment impeccable tous comme celui de saxophone. Mayall et sa nouvelle recrue nous concoctent ensuite un instrumental original, « Snowy Wood », plutôt entrainant et nous permettant de nous repaitre du touché magique de Taylor, soutenu par l’orgue et les saxophones.

La reprise du « Man Of Stone » d’Eddie Kirkland nous envoie sur les petits chemin de fer du sud des Etats Unis, entre le rythme de batterie de Hartley, l’harmonica et le chant de coton (huhu !) de Mayall, et le riff répétitif de guitare. L’harmonica n’hésite pas à se lancer dans un duel avec le saxophone plutôt rafraichissant pour son caractère inhabituel. La ballade « Tears In My Eyes » va aller voir du côté de la Soul, même si les influences Blues restent présentes (le solo de guitare beau à pleurer par exemple). Comme avec Clapton et Green, Mayall fait reprendre à Taylor un instrumental du grand Freddie King. Si « Driving Sideways » est moins passé à la postérité que « Hideaway » (Clapton) et dans une moindre mesure « The Stumble » (Green), il ne leur est en rien inférieur par son caractère dansant et la virtuosité désinvolte de son interprète. Le lent et mystérieux « The Death Of J.B. Lenoir » qui relate le décès d’un guitariste de Blues l’aînée précédente dans un accident de voiture pourrait être un film noir mis en musique. Dominé par le motif hypnotique au piano et aux saxophones, il fascine d’un bout à l’autre et peut être considéré comme l’un des meilleurs originaux composé par Mayall.

Après ce petit chef d’oeuvre, le groupe s’attaque au classique « I Can’t Qui You Baby » composé par Willie Dixon et interprété initialement par Otis Rush. Si l’histoire a surtout retenu la version proposée par Led Zeppelin sur leur premier album, celle des Bluesbreakers est tout à fait digne d’intérêt. Moins massive, mais sans doute plus subtile. Si la prestation de Taylor vaut certainement celle de Page, il est juste de dire que Plant et Bonham se révèleront plus flamboyants que Mayall et Hartley. Le débonnaire « Streamline », un pied dans le classicisme, un autre dans la modernité, met en exergue l’orgue de Mayall avant que « Me And My Woman » permette à Taylor d’exprimer toute sa verve dans cette ballade Blues larmoyante. On termine par l’enjoué « Chekin’ Up On My Baby » de Sonny Boy Williamson II qui, forcément fait la part belle à l’harmonica de Mayall même si la guitare de Taylor se montre incisive à l’arrière plan.

Crusade est un examen d’entrée réussi pour Mick Taylor qui permet ainsi de rejoindre le cercle très fermé des guitaristes virtuoses anglais. Le public accepta sans problème ce timide mais talentueux adolescent comme remplaçant de Peter Green (et donc d’Eric Clapton) et fit de l’album un nouveau succès commercial puisque, comme les deux précédents, il entrera dans le top 10 britannique. La malédiction, elle, semblait rompue puisque Taylor restera avec son mentor pour l’album suivant. Moins connu aujourd’hui que l’album des Bluesbreakers avec Eric Clapton, Crusade vaut certainement aussi bien que ce classique et mérite sans conteste d’être écouté en boucle !

Titres:
1. Oh, Pretty Woman
2. Stand Back Baby
3. My Time After Awhile
4. Snowy Wood
5. Man of Stone
6. Tears in My Eyes
7. Driving Sideways
8. The Death of J. B. Lenoir
9. I Can’t Quit You Baby
10. Streamline
11. Me and My Woman
12. Checkin’ Up on My Baby

Musiciens:
John Mayall: Chant, harmonica, claviers, guitare
Mick Taylor: Guitare
John McVie: Basse
Keef Hartley: Batterie
Chris Mercer: Saxophone
Rip Kant: Saxophone

Production: Mike Vernon