Après avoir atteint le nirvana au tout début des années 70, la vie de George Harrison semble devenue un enfer. Sans doute le fait d’avoir été le Beatle à avoir connu le plus gros succès solo ne l’a-t-il pas laissé indemne. Il a plongé dans la drogue et dans l’alcool, poussant son épouse Patti à s’enfuir dans les bras de Ronnie Wood d’abord puis, de manière plus durable, dans ceux d’Eric Clapton (décision peut-être pas la plus avisée vu l’alcoolisme du guitariste). George, lui, enchaîne les relations sans lendemain avec les femmes (celles de Ringo et Wood) ou les petites-amies (celle de Rod Stewart) de ses amis. Bref, c’est un drôle bazar, comme on dit en Belgique. Et la musique, me direz-vous ? Eh bien au niveau des textes elle reflète cette période de profond déséquilibre affectif. Il essaie également de se soigner l’âme en se plongeant plus que jamais dans la philosophie indienne mais qui, associé à sa consommation de stupéfiants et alcool, doit donner un fameux brouillard. On imagine que tout cela n’a pas spécialement arrangé sa créativité, déjà légèrement en berne sur Living In The Material World, mais il ne faudrait pas pour autant considérer Dark Horse comme un album raté, ni même décevant.

Une fois n’est pas coutume, George nous offre un instrumental qui ouvre l’album. Inspiré par le backing band de Joni Mitchell (qui l’accompagne ici) mené par le saxophoniste Tom Scott, « Hari’s On Tour (Express) », en plus de montrer son goût pour les jeux de mots, est un titre dynamique qui montre autant le jeu de slide de l’ex Beatle que celui, un peu trop doucereux, du saxophoniste. On pensera autant à certaines ambiances de Little Feat qu’à des génériques de télévision US des 70’s. On retrouve le style habituel de George sur la ballade Rock mélancolique « Simply Shady », réflexion sans concession sur sa vie à l’époque. Un peu oublié aujourd’hui, le titre mériterait d’être redécouvert, sa qualité égalant les ballades de All Things Must Pass sans la surproduction de Phil Spector. Le mélancolique « So Sad » avait été écarté de Living In The Material World et offert à son voisin Alvin Lee qui l’avait enregistré en solo. Traitant de la fin de son mariage avec Patti, certains commentateurs l’on vu comme l’anti « Here Comes The Sun », et c’est vrai qu’il y a des similitudes d’un point de vue stylistique, mais forcément en plus noir et métallique. Sur « Bye Bye Love », popularisé par les Everly Brothers et repris quelques temps plus tôt par Simon & Garfunkle, George change même quelques paroles pour citer ouvertement le départ de Patti pour Clapton.

Le Rock tranquille « Māya Love », porté par la guitare slide de George et le piano électrique de Billy Preston, est très agréable à défaut d’être vraiment mémorable. Il en va de même pour « Ding Dong, Ding Dong », tentative pour l’artiste d’avoir également son single de Noël, suite à celui de John Lennon. On remarquera une liste d’invités prestigieux (Ringo, Ronnie Wood, Alvin Lee, Klaus Voorman et Mick Jones) ainsi qu’un refrain, repris par un choeur d’enfants, plutôt entêtant. Le chant éraillé de George sur « Dark Horse », titre électro-acoustique entraînant, préfigure déjà les problèmes de voix qui allaient ternir la tournée américaine (sa première depuis la fin de celles des Beatles) qui allait suivre. On appréciera également sa ballade d’inspiration Soul « Far East Man », composée avec Ronnie Wood, et qu’on aurait effectivement facilement vue chez les Faces. La version de Wood était sortie deux mois plus tôt sur son premier album solo. Il fallait bien un titre où George clamait sa vénération aveugle pour Hare Krishna, ce sera « It Is ‘He’ (Jai Sri Skrishna) », assurément le plus dispensable de l’album. Malgré cela, on pourra être séduit par cette fin lumineuse malgré le côté agaçant du mantra.

Au final, si Dark Horse n’atteint bien sûr pas All Things Must Pass, il est de qualité plutôt égale à Living In The Material World. L’absence d’un single à succès conduira cependant à un véritable flop en Angleterre, même s’il se vendit plutôt bien en Amérique. Associé à une tournée calamiteuse, Dark Horse sonnait néanmoins la fin de la période de grâce de George Harrison. Désormais, la place de Beatle à obtenir le plus de succès en solo allait être tenue par Paul McCartney.

Titres:
1. Hari’s on Tour (Express)
2. Simply Shady
3. So Sad
4. Bye Bye, Love
5. Māya Love
6. Ding Dong, Ding Dong
7. Dark Horse
8. Far East Man
9. It Is ‘He’ (Jai Sri Krishna)

Musiciens:
George Harrison: Chant, guitare, claviers, basse, batterie
Billy Preston: Claviers
Tom Scott: Saxophone, flute
Willie Weeks: Basse
Andy Newmark: Batterie
Jim Keltner: Batterie (3,6,7)
Robben Ford: Guitare (1,2,7)
Max Bennett: Basse (1,2)
John Guerin: Batterie (1,2)
Roger Kellaway: Claviers (1,2)
Ringo Starr: Batterie (3,6)
Klaus Voorman: Basse (6)
Gary Wright: Piano (6)
Nicky Hopkins: Piano (3)
Ronnie Wood: Guitare (6)
Alvin Lee: Guitare (6)
Mick Jones: Guitare (6)
Jim Horn: Flute
Chuck Findley: Flute

Production: George Harrison