C’est une longue histoire qui débute vers la fin des années 60, alors que Lynyrd Skynyrd n’est encore qu’un groupe en devenir. Les premiers jalons de ce qui deviendra la ballade incontournable des concerts du groupe étaient d’abord plantés par le guitariste Allen Collins qui en jette un jour les premiers accords, guidé par une de ces inspirations qui font les légendes dans le rock.

Mais pendant quelques années, « Free Bird » restera une histoire sans paroles. Si Ronnie Van Zant sent bien le potentiel de cette suite d’accords, il ne sait d’abord pas quoi en faire. La lumière lui viendra subitement, un jour où, inlassablement, Collins rejoue cette ébauche de chanson. Gary Rossington dira plus tard que la mélodie et les paroles vinrent au chanteur comme une fulgurance, en quelques minutes à peine.

Alors le morceau commence à s’étoffer. Collins lui greffe un solo, véritable point culminant du morceau qui, à la manière d’un « Stairway To Heaven » ou plus tard d’un « Hotel California », donne une dimension monumentale à la chanson. Un moment de bravoure et une prouesse marathonienne de la part d’Allen Collins qui donnait accessoirement l’occasion à Ronnie Van Zant de reprendre son souffle pendant les concerts.

Œuvre collective, « Free Bird » recevra vers 1970 une touche finale inattendue, qui vaudra à son auteur de rejoindre le groupe par la suite : Billy Powell n’est en effet qu’un simple roadie lorsque l’idée d’une introduction lui vient. Alors que Lynyrd Skynyrd enregistre ses premières chansons en compagnie du producteur Jimmy Johnson, profitant d’une pause, Powell se met au piano dans le studio et joue tranquillement sa partition. A leur retour, Van Zant et son producteur seront si épatés par ce qu’ils découvrent qu’ils intégreront l’introduction de Powell à la première version de « Free Bird », celle des sessions « Muscle Shoals » qui sortira bien plus tard dans une édition enrichie de la compilation d’inédits Skynyrd’s First. Une version clairement dominée par le piano dès les premières notes et dans l’accompagnement des couplets.

Dans la version studio définitive enregistrée par Al Kooper en 1973, le piano de Powell s’effacera au profit d’un mélange d’arpèges (Collins) — déjà présents dans la première version — et de guitare slide (Rossington) ; la durée s’allongera par ailleurs encore un peu, passant de près de 7 minutes 30 dans la version « Muscle Shoals » à plus de 9 minutes dans la version Kooper, imitant en cela les développements en concert qui parfois pouvaient s’étendre jusqu’à plus de 15 minutes à la plus grande joie du public qui se délectait du solo endiablé d’Allen Collins, assisté vers la fin, en concert, par Ed King (et plus tard Steve Gaines).

Si cette durée était loin d’être un problème en concert, et qu’elle se prêtait même à des moments d’extase dans le public, le groupe aura plus de mal à la faire accepter à sa maison de disques. Jimmy Johnson, en son temps, s’y était déjà cassé les dents, mais les Floridiens resteront intransigeants sur ce point, et l’enregistrement final de l’album restera intact. La version exploitée en single sera quant à elle amputée de l’introduction et d’une bonne partie du solo pour la ramener à moins de 5 minutes, moyennant au passage une disgracieuse coupe à la hache. Cette version courte, malgré les outrages qui lui étaient infligés, assurera à Lynyrd Skynyrd un succès respectable dans les classements américains en leur permettant d’entrer dans les vingt premières places au début de l’année 1975, ce qui n’était, à vrai dire, pas tellement cher payé… Car s’il ne devait rester qu’une ballade dans le rock sudiste, ce serait certainement celle-là.