En ce milieu des années 70, peu d’artistes ont un statut aussi élevé que celui d’Elton John dans l’aristocratie du Rock. Le chanteur enfile les disques de platine avec une désinvolture insolente tandis qu’il vient avec « Island Girl » de connaître son cinquième numéro un américain (sans compter les autres qui s’en approchèrent), les concerts s’effectuent à guichet fermés devant des foules immenses venuent entendre les tubes et admirer les costumes extravagants. Il n’y rien d’étonnant donc à ce que sorte ce live, son deuxième déjà. Car si 17-11-70, son premier, témoignait d’un auteur-compositeur à la réputation grandissante mais dont la quasi totalité des succès restaient encore à venir, Here And There nous montre à présent une bête de scène qui enfilait les hits depuis un peu plus de deux ans. Comme son nom peut le laisser entendre (« ici et là »), l’album propose des extraits de deux concerts différents de l’année 1974. Le premier enregistré Royal Festival Hall de Londres (un lieu relativement intime avec environ 2700 places) le second au gigantesque et mythique Madison Square Garden de New York. On peut toutefois se demander pourquoi avoir au départ sorti un pauvre album simple alors que le chanteur avait déjà à son actif un double disque studio qui s’était plus que bien vendu (cela reste même son plus gros succès commercial hors compilations et Lion King, ce qui n’est pas peu dire) et que les albums en concert étaient alors très populaires. 

Heureusement, les années 90 vinrent réparer cette faute de goût en sortant le disque en format double avec cette fois non plus un lieu de concert par face mais un sur chaque CD. En terme de temps on doublera la mise (cinquante minutes pour la version originale contre plus de deux heures pour la nouvelle). On se réjouira également que cette nouvelle version n’offrira que peu de doublons entre les deux concerts, seuls « Take Me To The Pilot » et « Your Song » se retrouvant sur les deux CDs. Pour rajouter à notre bonheur, on se rappellera que le concert de Thanksgiving au Madison Square Garden avait vu la participation de rien de moins que John Lennon, ayant accepté de venir suite à un pari, et dont ce sera la dernière apparition sur scène (il se retirera par la suite de la musique pour élever son plus jeune fils et sera tué avant d’avoir pu défendre l’album de son retour Double Fantasy). Ce moment exceptionnel, sorti en single peu après le décès du Beatle, a fort heureusement été ajouté à cette version.

Depuis 17-11-70, le groupe d’Elton comporte en plus du bassiste Dee Murray et du batteur Nigel Olsson, le guitariste Davey Johnstone qui vient apporter une envergure plus Rock ainsi que le facétieux percussionniste Ray Cooper pour étoffer le son. C’est pourtant seul au piano, en douceur, que le chanteur ouvre la partie Here avec « Skyline Pigeon », un titre de ses tout débuts. Mais dès « Border Song » Murray puis Olsson viennent se rajouter pour apporter un groove qui décollera de plus en plus. Si la version originale se reposait ensuite très vite sur les tubes (un bondissant « Honky Cat » avec un improbable solo de ‘canard’ de Ray Cooper, un joyeux « Crocodile Rock ») à l’exception du duo avec la chanteuse Lesley Duncan, « Love Song », la réédition nous permet de prolonger le temps des titres sans doute moins connus du grand public à l’instar de « Burn Down The Mission » au final apocalyptique montrant le haut niveau des musiciens. Certains sont même carrément obscures comme ce « Bad Side Of The Moon », face B de « Border Song », sublimé ici dans une version nettement plus Rock mettant bien valeur la guitare de Johnstone à la place des cordes de la version studio. Cela n’empêche pas l’album de se clôturer tout de même par trois méga tubes absents également de la version originale, les ballades « Candle In The Wind » et « Your Song » ne servant qu’à mieux mettre en valeur « Saturday Night’s Alright For Fight » à l’énergie Rock libératrice. 

La version d’origine de There mettait également des titres à succès en valeur, même si on notera le côté osé d’avoir alors conservé l’épique « Funeral For A Friend/Love Lies Bleeding » en guise d’ouverture. Mais en même temps, il aurait été dommage de s’en priver de cet excellent morceau, surtout quand il est aussi bien interprété. On remarquera que sur ce concert Elton semble un peu enroué (fatigue de fin de tournée ?) mais heureusement pas suffisamment pour que ses capacités vocales en pâtissent vraiment. Les versions des méga hits « Rocket Man » et surtout « Bennie And The Jets » font des étincelles tandis que celle de « Take Me To The Pilot » est encore plus puissante que celle déjà conséquente du premier disque. La réédition ne présente toujours pas le concert complet, pour éviter trop de doublons, probablement, mais laissent tout de même de côté des regrets comme « All The Girls Love Alice » ou « Goodbye Yellow Brick Road » qu’on aurait préféré avoir à la place de « Your Song » déjà présent sur le premier disque. Heureusement nous avons droit à d’autres grands moments comme le dynamique « Grey Seal » et un final explosif sur « The Bitch Is Back ».

Concernant l’intervention de John Lennon, les deux artistes et le groupe mettent le feu sur le dynamique « Whatever Gets You Thru The Night », plus gros succès de l’ex Beatle aux USA (et enjeu du pari ayant mené à sa venue durant ce concert). « Lucy In The Sky With Diamonds » reste une rare occasion d’entendre ce titre en live avec un des Beatles, même si c’est Elton (qui venait alors d’enregistrer une version qui sortira en single et deviendra n°1) et non John le chanteur principal. C’est à l’unisson en revanche que les deux interprètent « I Saw Her Standing There » pour un moment de Rock n Roll rétro qui fait un bien fou. 

On l’aura compris, si la version originale de Here And There nous distille un léger un aperçu de ce que pouvait être un concert d’Elton John à cette époque, la réédition nous permet de le voir et l’entendre dans toute sa splendeur alors qu’il était à son sommet artistique et l’une des plus grandes sensation de la scène Pop/Rock. Un témoignage qu’il ne faudrait rater sous aucun prétexte, surtout pour ceux ayant surtout en tête la caricature qu’il est depuis devenu. 

Titres:
CD1 – Here
1. Skyline Pigeon
2. Border Song
3. Take Me To The Pilot (bonus)
4. Country Comfort (bonus)
5. Love Song (ft. Lesley Duncan)
6. Bad Side Of The Moon (bonus)
7. Burn Down The Mission (bonus)
8. Honky Cat
9. Crocodile Rock
10. Candle In The Wind (bonus)
11. Your Song (bonus)
12. Saturday Night’s Alright for Fighting (bonus)

CD2 – There
1. Funeral For A Friend/Love Lies Bleeding
2. Rocket Man (I Think It’s Going To Be A Long, Long Time)
3. Take Me To The Pilot
4. Bennie And The Jets
5. Grey Seal (bonus)
6. Daniel (bonus)
7. You’re So Static (bonus)
8. Whatever Gets You Thru The Night (ft. John Lennon) (bonus)
9. Lucy In The Sky With Diamonds » (ft. John Lennon) (bonus)
10. I Saw Her Standing There » (ft. John Lennon) (bonus)
11. Don’t Let The Sun Go Down On Me (bonus)
12. Your Song (bonus)
13. The Bitch Is Back (bonus)

Musiciens:
Elton John: Claviers
Davey Johnstone: Guitare
Dee Murray: Basse
Nigel Olsson: Batterie
Ray Cooper: Percussions

Production: Gus Dudgeon