Après avoir triomphé à Woodstock et trois excellents albums au registre heavy rock psyché latino entre 1969 et 1971, le guitariste mexicain Carlos Santana ressent le besoin de faire une pause. Il prend congé de ses musiciens car il se questionne sur la direction musicale à prendre. De son côté le batteur/chanteur afro américain Buddy Miles, après l’expérience du Band Of Gypsys avec Jimi Hendrix qui a mal finie, est à la recherche d’un nouveau souffle.

C’est dans ce contexte de doutes que vont se croiser les deux artistes. De cette collaboration va accoucher un Lp en concert intitulé sobrement Live! dans les bacs en juin 1972 pour le compte de Columbia. Capté au cratère de Diamond Head sur l’ile d’Hawaï le 1er janvier de la même année, il regroupe d’un côté des membres du Sanana Band (le guitariste Neal Schon, les percussionnistes Coke Escovedo et Mike Carabello), de l’autre des connaissances de Buddy Miles (le bassiste Ron Johnson, l’organiste Robert Hogins, le saxophoniste/flûtiste Hadley Caliman, le trompettiste Luis Gasca, les percussionnistes Mungo Lewis, Greg Errico et Victor Pantoja).

Ce disque est majoritairement instrumental. Seuls deux morceaux sont chantés. Cela s’ouvre sur une compo écrite par John McLaughlin, « Marbles ». Ce titre n’est pas là par hasard. Il est issu de Devotion, Lp de John Mclaughlin imprimé en 1969 où joue Buddy Miles. De plus le natif d’Autlán de Navarro s’intéresse de près à ce guitariste anglais qui fusionne habilement la puissance de rock et la virtuosité du jazz. Sans parler que ce dernier vient tout juste de collaborer avec Miles Davis. De quoi donner des idées au jeune mexicain. Entre riffs heavy metal hendrixiens, soli corrosifs et envolées magiques d’un orgue qui n’a rien à envier à Gregg Rolie, ici la troupe en donne une version séduisante. Probablement lié au jeu spectaculaire de Santana qui s’harmonise avec son acolyte Neal Schon.

C’est un festival de percus qui va servir de transition pour l’intermède hard rock latino « Lava ». Arrive là seule piste du répertoire de Santana, « Evil Ways » chanté par Buddy Miles. Une transformation soul et jazz fusion avec bombardements de cuivres, claquements de mains, percussions enflammées, sax aux dérives free jazz et trompette hallucinatoire. Bref, c’est comme si Santana avait rassemblé Sly Stone, John Coltrane, Miles Davis et Blood, Sweat & Tears. Sans temps mort la bande enchaine sur le bref « Faith Interlude » où les souffleurs vont jouer sur les émotions. Mais très vite Santana part dans un climat sombre et transcendantal. Le guitariste dévoile une autre facette. Un personnage qui se cherche spirituellement comme il le montre sur l’illustration. Pour lui, la musique et la quête spirituelle va de pair. En attendant de trouver sa voie, les idées claires reviennent. Cela permet d’enchainer avec « Them Changes » qui rappelle les bonnes heures du Band Of Gypsys. Magnifique interprétation qui nous tient en haleine, nous menant en pleine fièvre du carnaval de Rio avec un parolier nerveux et transi.

Toutefois, l’attraction de ce 33-tours est bien évidement « Free form Funkafide Filth » qui occupe toute la face B. Pièce élastique avoisinant les 25 mn où va planer les fantômes d’Hendrix et de Coltrane. Si la musique s’installe dans un style free jazz et une ambiance mystérieuse via la flûte, au bout de 3 mn va se mélanger hard funk, acid rock, jazz, voluptés psychédéliques… Dans cette impro infernale les guitares, le sax, la flutes, l’orgue, les percussions vont s’entrechoquer avec à l’arrière une basse groovy mais surtout un batteur à la frappe carrée et puissante. Un titre à la poursuite de Miles Davis qui vient de changer le monde du jazz.

A sa sortie, ce Lp fut acclamé par les critiques mais boudé du public le considérant comme une parenthèse insignifiante dans la carrière de Santana. Pourtant il est une bonne transition entre la période psyché latino et le jazz rock progressif aux effluves salsa à venir. Quant à Buddy Miles, après cette rencontre, il réactive le Buddy Miles Express.

A écouter en boucle.

Titres :
1. Marbles
2. Lava
3. Evil Ways
4. Faith Interlude
5. Them Changes
6. Free Form Funkafide Filth

Musiciens :
Carlos Santana : Guitare
Buddy Miles : Batterie, Chant
Neal Schon : Guitare
Ron Johnson : Basse
Robert Hogins : Orgue
Luis Gasca : Trompette
Hadley Caliman : Saxophone, Flûte
Coke Escovedo, Mike Carabello, Mungo Lewis, Greg Errico, Victor Pantoja : Percussions

Production : Carlos Santana, Buddy Miles