En 1982, les Who décident de jeter l’éponge. Pete Townshend est définitivement au bout du rouleau et n’en peut plus de la pression de devoir à chaque fois écrire un nouveau disque pour les Who. De même Roger Daltrey est conscient que le groupe est arrivé à une impasse et peine à retrouver un nouveau souffle depuis la mort de Keith Moon. De plus, il n’est pas convaincu par le style de son successeur, Kenney Jones. Le groupe se lance donc dans une tournée des stades servant à la fois comme adieux et pour défendre It’s Hard, leur dixième et dernier album en date. Cette tournée sera à l’époque illustrée par Who’s Last, live servant à clôturer une avance de contrat et enregistré essentiellement à Cleveland. Mais les performances du groupe au célèbre Shea Stadium avaient également été filmées et enregistrées. Déjà paru en DVD il y a dix ans, voilà que la version studio sort enfin cette année, faisant oublier définitivement le terne Who’s Last.

Si certains déploreront que la folie des Who soit morte avec Keith Moon, il serait de mauvaise foi de ne pas considérer que le groupe est en grande forme. Autant Who’s Last montrait un groupe peut concerné, autant ici – peut-être stimulé par le côté mythique du lieu et la prestation des Clash en première partie – Daltrey et sa bande vont montrer qu’ils en ont encore sous le coude. Au point qu’on se demande pourquoi ce n’est pas ce concert-ci que le groupe avait choisi de mettre en avant pour célébrer leur tournée d’adieux. La basse d’Entwistle est comme toujours mortelle, le touché de Townshend (en rythmique mais aussi en solo) est impeccable, et Daltrey est très en voix. Même Kenney Jones, ce remplaçant si souvent (et injustement à mon avis) critiqué, tient la barque avec maestria, imitant le style de son prédécesseur lorsque nécessaire. Ainsi, si leur version de « Young Man Blues » n’atteint pas le nirvana de Live At Leeds, elle est loin d’être honteuse et montrait à nombre de groupes plus jeunes que le Rock de Papa était loin d’être mort et aseptisé. 

L’album It’s Hard est plutôt bien mis à l’honneur, ce qui permet de rappeler que, si bien sûr ils ne sont pas du niveau des grands classiques du groupe (à l’exception sans doute de « Eminence Front »), l’album comporte des morceaux tout à fait digne d’intérêt comme le bien Rock « Dangerous », « It’s Hard » ou « Cry If You Want ». Si bien sûr le groupe aligne ses tubes depuis le beau duo « Substitute », « I Can’t Explain » qui ouvre le bal, ils n’oublient pas non plus des titres moins connus comme « Drowned », « Tattoo » ou encore « The Punk And The Godfather ». Evidemment cela fait passer quelques classiques à la trappe (« I Can See For Miles », « Magic Bus » et même, incroyable, « My Generation »), mais on peut au moins reconnaître que le groupe nous surprend et n’hésite pas à éviter les sentiers battus. Dommage par contre d’avoir omis « You Better You Bet », single de leur album précédent, qui avait pourtant rencontré un gros succès (le dernier single des Who à se classer dans le Top 20 américain et le Top 10 britannique). En revanche, c’est sans doute en hommage aux Beatles, premier groupe à jouer dans un stade – le présent Shea Stadium qui plus est – qu’ils termineront le concert par « I Saw Her Standing There » et « Twist And Shout ».

Vous l’aurez compris, ce Live At Shea Stadium 1982 s’avère déjà comme un indispensable de la discographie des Who, permettant de réévaluer la période où Kenney Jones officiait à la batterie. Si bien sûr ceux ne jurant que par Keith Moon ne seront guère convaincus (mais l’homme était irremplaçable), il serait injuste de dédaigner ce qui s’est fait après son trépas, ni le travail – peut-être plus convenu mais irréprochable – de son successeur. Un live puissant et électrisant qui ne donnait absolument pas l’impression qu’il était temps pour les Who de tourner la page. D’ailleurs, leurs adieux allaient se révéler éphémères pour notre plus grand plaisir.

Titres:
CD1
1. Substitute
2. I Can’t Explain
3. Dangerous
4. Sister Disco
5. The Quiet One
6. It’s Hard
7. Eminence Front
8. Behind Blue Eyes
9. Baba O’Riley
10. I’m One
11. The Punk And The Godfather
12. Drowned
13. Tattoo
14. Cry If You Want

CD2
1. Who Are You
2. Pinball Wizard
3. See Me Feel Me
4. Love Reign O’er Me
5. Long Live Rock
6. Won’t Get Fooled Again
7. Young Man Blues
8. Naked Eye
9. I Saw Her Standing There
10. Summertime Blues
11. Twist And Shout

Musiciens:
Roger Daltrey: Chant, guitare
Pete Townshend: Guitare, chant
John Entwistle: Basse, chant
Kenney Jones: Batterie
+
Tim Gorman: Claviers